Information ou Communication ?

Publié le par Veka

J’ai passé le concours interne d’assistant territorial du patrimoine et des bibliothèques il y a quelques jours. Et je ne peux m’empêcher de repenser à ce petit texte qui nous a été proposé à l’épreuve de résumé.

 

Pourquoi ?

Lisez et dites moi ce que vous pensez de l’attitude des médias ces dernières semaines face à la gueguerre du OUI-NON ?

Un seul mode de pensée nous a été martelé : votez OUI. Unanimité là-dessus. La presse (exception faite de quotidiens plus marqués politiquement) s’est naturellement calquée sur la grosse machine télévisuelle.

 

 

J’aimerais connaître la proportion d’internautes parmi les votants du NON. J’ai la sensation qu’eux seuls ont pu échanger d’autres idées.

 

Naturellement, au lendemain du vote, nous voici en présence du bilan.

« Catastrophe », « conséquences du NON » alors même qu’on nous martelait qu’il n’y aurait aucune suite politique en cas de victoire du honteux vote…

 

 

  

 

Résumé (en 200 mots, marge + ou – 10 % soit de 180 à 220 mots)
Et répondez ensuite aux questions :
1) en quoi la communication diffère t-elle de l’information ?
2) selon vous la démarche d’un public d’équipements culturels (musées, bibliothèques, centre de documentation, archives) est-elle comparable à celle d’un téléspectateur ?

« La presse écrite est en crise. Elle connait, en France, aux États-Unis et ailleurs, une baisse notable de sa diffusion et souffre gravement d'une perte d'identité. Pour quelles raisons, et comment en est-on arrivé là ? Indépendamment de l'influence certaine du contexte économique, il faut chercher les causes profondes de cette crise dans la transformation qu'ont connue, au cours de ces dernières années, quelques-uns des concepts de base du journalisme.
En premier lieu, l'idée même d'information. Récemment encore, informer c'était, en quelque sorte, fournir non seulement la description précise - et vérifiée - d'un fait, d'un événement, mais également un ensemble de paramètres contextuels permettant au lecteur de comprendre sa signification profonde. C'était répondre à des questions de base: qui a fait quoi ? Quand ? Où ? Comment ? Pourquoi ? Avec quels moyens ? Dans quelles circonstances ? Et quelles en sont les conséquences ?
Sous l'influence de la télévision, qui occupe désormais, dans la hiérarchie des médias, une place dominante et répand son modèle, cela a changé. Le journal télévisé, grâce notamment à son idéologie du direct et du temps réel, a imposé peu à peu une conception radicalement différente de l'information. Informer c'est, désormais, « montrer l'histoire en marche » ou, en d'autres termes, faire assister (si possible, en direct) aux événements.
Il s'agit, en matière d'information, d'une révolution copernicienne dont on n'a pas fini de mesurer les conséquences. Car cela suppose que l'image de l'événement (ou sa description) suffit à lui donner toute sa signification. À la limite, le journaliste lui-même est de trop dans ce face à face téléspectateur/histoire. L'objectif prioritaire, pour le téléspectateur, sa satisfaction, n'est plus de comprendre la portée d'un événement, mais tout simplement de le regarder se produire sous ses yeux. Cette coïncidence est considérée comme jubilatoire.
Ainsi s'est rétablie, petit à petit, l'illusion que voir c'est comprendre. Et que tout événement, aussi abstrait soit-il, doit impérativement présenter une face visible, montrable, télévisable. C'est pourquoi on observe une emblématisation de plus en plus fréquente d'événements à caractère complexe. Par exemple, toute la portée des accords Israël-OLP aura été ramenée à la poignée de main Rabin-Arafat.
Par ailleurs, une telle conception de l'information conduit à une affligeante fascination pour les images, « tournées en direct », d'événements palpitants, de scènes violentes et de faits-divers sanglants. Cette demande encourage l'offre de faux documents, de reconstitutions, de manipulations et de « bidonnages ». Conséquences : information et divertissement tendent à se confondre; les journaux de référence s'alignent de plus en plus souvent sur les tabloïds.
Un autre concept a changé : celui d'actualité. Qu'estce que l'actualité désormais ? Quel événement faut-il privilégier dans le foisonnement de faits qui surviennent à travers le monde ? En fonction de quels critères choisir ? Là encore, l'influence de la télévision apparait déterminante. C'est elle, avec l'impact de ses images, qui impose son choix et contraint pratiquement la presse écrite à suivre. La télévision construit l'actualité, provoque le choc émotionnel et condamne les faits orphelins d'images à l'indifférence et au silence.
Peu à peu s'établit dans les esprits l'idée que l'importance des événements est proportionnelle à leur richesse en images. Ou, pour le dire autrement, qu'un événement que l'on peut montrer (en direct et en temps réel) est plus fort, plus éminent que celui qui demeure invisible et dont l'importance est abstraite. Dans le nouvel ordre des médias, les paroles ou les textes ne valent pas des images.
Le temps de l'information a également changé. Internet raccourcit le cycle de l'information. La scansion optimale des médias est maintenant l'instantanéité (le temps réel), le live, que seules télévision et radio peuvent pratiquer. Cela vieillit la presse quotidienne, forcément en retard sur l'événement et, à la fois, trop près de lui pour parvenir à tirer, avec suffisamment de recul, tous les enseignements de ce qui vient de se produire. La presse écrite quotidienne est ainsi contrainte de se rabattre de plus en plus sur le local, le people et les « affaires ».
Un quatrième concept s'est modifié. Celui, fondamental, de la véracité de l'information. Désormais, un fait est vrai non pas parce qu'il obéit à des critères objectifs, rigoureux et recoupés à la source, mais tout simplement parce que d'autres médias répètent les mêmes affirmations et « confirment »... La répétition se substitue à la démonstration. L'information est remplacée par la confirmation. Si la télévision (à partir d'une dépêche ou d'une image d'agence) présente une nouvelle et que la presse écrite, puis la radio la reprennent, cela suffit pour la créditer comme vraie. C'est ainsi, on l'a vu, que furent construits les vrais-faux du « charnier » de Timisoara et tous ceux de la guerre du Golfe et de Bosnie. Les médias ont de plus en plus de mal à distinguer, structurellement, le vrai du faux. Là aussi, Internet aggrave les choses, car le pouvoir de publier est désormais décentralisé, toute rumeur, vraie ou fausse, devient de l'information, et les contrôles, effectués naguère par la rédaction en chef, volent en éclats.
Dans ce bouleversement médiatique, il est vain de vouloir analyser la presse écrite en l'isolant des autres moyens d'information. D'autant que, contrairement à toute autre industrie où la concurrence contraint chacun à proposer des produits différents, dans l'industrie médiatique elle pousse les journalistes à faire preuve de mimétisme, à consacrer tout leur talent à répéter la même histoire, à traiter la même affaire qui mobilise, au même moment, tous les médias. Les journalistes se répètent, s'imitent, se copient, se répondent et s'emmêlent au point de ne plus constituer qu'un seul système informationnel au sein duquel il est de plus en plus ardu de distinguer les spécificités de tel média pris isolément. Et l'irruption d'Internet a encore renforcé cette imbrication.
Information et communication tendent à se confondre. Trop de journalistes continuent de croire que leur profession est la seule à produire de l'information quand toutes les institutions et organisations de la société se sont mises frénétiquement à faire la même chose. Il n'y a pratiquement plus d'organisme (administratif, militaire, économique, culturel, social, etc.) qui ne se soit doté d'un service de communication et qui n'émette, sur lui-même et sur ses activités, un discours pléthorique et élogieux. À cet égard, tout le système, dans les démocraties cathodiques, est devenu rusé et intelligent, tout à fait capable de manipuler astucieusement les médias, les journalistes, et de résister savamment à leur curiosité.
De surcroît, la concurrence effrénée entre groupes médiatiques conduit les médias à abandonner, plus ou moins cyniquement, leur objectif civique. Ce qui compte c'est la rentabilité économique, le profit. À l'heure du développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, les médias sont en guerre les uns contre les autres. Et l'on estime que la révolution numérique pourrait donner naissance à de nouveaux médias associant la qualité des images de la télévision, la facilité du téléphone, la mémoire de l'ordinateur et la maniabilité des journaux papier; et ces médias pourraient être consultés par le biais du téléphone cellulaire ou du courrier électronique .
Les connivences et les révérences se multiplient entre alliés d'un même groupe médiatique. Les complicités de réseau l'emportent sur le devoir de vérité. Et, en outre, toutes ces nouvelles technologies sont en train de transformer et de dégrader les conditions de travail des journalistes : « Les journalistes travaillent davantage ; ils disposent de moins de temps pour conduire leurs enquetes et pour les écrire ; ils produisent des informations plus superficielles - explique Eric Klinenberg, chercheur à l'université de Californie, Berkeley. Ainsi, un reporter peut désormais écrire un article pour l'édition du soir, paraître à l'écran pour traiter le même événement à la télévision et étoffer l'information avec les spécialistes d'Internet en leur suggérant des liens avec d'autres sites ou événements. Ces pratiques maintiennent les coûts à un bas niveau et augmentent le rendement de la production. Mais elles absorbent une partie du temps que les journalistes consacraient à leurs recherches en réclamant d'eux à la fois de nouvelles aptitudes professionnelles, par exemple être télégénique, et une écriture médiatique adaptable à toutes sortes de supports »
À tous ces chamboulements s'ajoute un malentendu fondamental. Beaucoup de citoyens estiment que, confortablement installés dans le canapé de leur salon à regarder sur le petit écran une sensationnelle cascade d'événements à base d'images souvent fortes, violentes et spectaculaires, ils peuvent s'informer sérieusement. C'est une erreur totale.
Pour trois raisons : d'abord parce que le journal télévisé, structuré comme une fiction, n'est pas fait pour informer, mais pour distraire. Ensuite, parce que la rapide succession de nouvelles brèves et fragmentées (une vingtaine par journal télévisé) produit un double effet négatif de surinformation et de désinformation (il y a trop de nouvelles, mais trop peu de temps consacré à chacune d'elles). Et enfin, parce que vouloir s'informer sans effort est une illusion qui relève du mythe publicitaire plutôt que de la mobilisation civique. S'informer fatigue, et c'est à ce prix que le citoyen acquiert le droit de participer intelligemment à la vie démocratique.
De nombreux titres de la presse écrite continuent pourtant, par mimétisme télévisuel, d'adopter des carac téristiques propres au média cathodique : maquette de la « une » conçue comme un écran, longueur des articles réduite, personnalisation excessive de quelques journalistes, priorité au local sur l'international, excès de titres choc, pratique systématique de l'oubli, de l'amnésie à l'égard des informations ayant quitté l'actualité, etc. Les informations doivent désormais avoir trois qualités principales : être faciles, rapides et amusantes. Ainsi, paradoxalement, les journaux ont simplifié leur discours au moment où le monde, transformé par la fin de la guerre froide et par la mondialisation économique, s'est considérablement complexifié.
Un tel écart entre ce simplisme de la presse et les nouvelles complications de la vie politique déroute de nombreux citoyens qui ne trouvent plus, dans les pages de leur quotidien, une analyse différente, plus fouillée, plus exigeante que celle proposée par le journal télévisé. Cette simplification est d'autant plus paradoxale que le niveau éducatif global de nos sociétés n'a cessé de s'élever. Et les critiques s'accumulent sur la légèreté des médias, leur attitude souvent irresponsable, leur connivence avec les nantis.
En acceptant trop souvent de n'être plus que l'écho des images télévisées, beaucoup de journaux déçoivent, perdent leur propre spécificité et, de surcroit, des lecteurs. En France, à peine 19 % de la population lit un quotidien national ; et ce lectorat est en baisse constante ; sur la période 1995-1996, les quotidiens nationaux ont perdu 300 000 lecteurs . ...
S'informer demeure une activité productive, impossible à réaliser sans effort, et qui exige une véritable mobilisation intellectuelle. Une activité assez noble, en démocratie, pour que le citoyen consente à lui consacrer une part de son temps, de son argent et de son attention.
L'information n'est pas un des aspects de la distraction moderne, elle ne constitue pas l'une des planètes de la galaxie divertissement ; c'est une discipline civique dont l'objectif est de construire des citoyens.
A ce prix, et à ce prix seulement, la presse écrite peut quitter les rivages confortables du simplisme dominant et retrouver ces lecteurs qui souhaitent comprendre pour pouvoir mieux agir dans nos démocraties assoupies.
« Il faut de longues années - écrit Vaclav Havel avant que les valeurs s'appuyant sur la vérité et l'authenticité morales s'imposent et l'emportent sur le cynisme; mais, à la fin, elles sortent victorieuses, toujours. » Tel doit être, aussi, le patient pari du journaliste. »

 

« La tyrannie de la communication »
Ignacio RAMONET
éditions Galilée, 1999
201p, 138F

 

Merci à fabiennebm qui a mis en ligne le sujet sur le forum dédié aux concours de la mobilité territoriale

 

 

Publié dans Blabla

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